"Le steak se rebiffe" par Angandilas Le Borgne

Le Piquo-Steak (le restaurant le plus sympathique de Verglie, si vous voulez mon avis) a été le théâtre d'un drame bien malheureux, aujourd'hui.

Je m'y étais rendu à l'invitation du baron Vladym d'Ilianov, qui m'avait proposé de dresser un peu mon piquosaure. La pauvre bête est attachante mais complètement indisciplinée et j'étais sur le point de renoncer à l'employer comme animal de bât pour ramener les matières premières dont la ville a tant besoin. L'offre du baron Vladym était inespérée et j'avais de nouveau foi en la réussite de l'expédition.

J'arrivais donc au restaurant le cœur léger. Le baron Vladym m'avait prévenu que le dressage était une opération délicate et que certains spécimens pouvaient se montrer si obstinés à y résister qu'il n'y avait d'autre possibilité que de les abattre, sans espoir de domestication. Je ne me faisais toutefois guère de soucis à ce sujet : mon piquosaure ignorait somptueusement mes ordres, mais il n'avait jamais fait preuve d'agressivité. Et le baron Vladym est sans doute l'un des plus grands experts es piquosaures du cybermonde.

Vladym m'accueillit chaleureusement et m'invita à lui amener le piquosaure dans l'arrière-cour, où nous serions plus à l'aise pour faire les exercices de dressage que dans la salle du Piquo-Steak. J'acquiesçai. Le restaurant était désert et nous avions peu de chance d'être dérangés à cette heure.

Était-ce la présence d'un piquosaure en train de rôtir à la broche dans la grande cheminée du restaurant qui intimida l'animal ? Je ne saurais le dire. Je sentais toutefois la nervosité le gagner et, désireux de faire preuve de mon autorité devant le baron Vladym, je le tirai vigoureusement vers moi, et à plusieurs reprises, alors qu'il résistait de ses quatre fers à la direction que je souhaitais lui faire prendre.


- Ne le brusque pas, bougre d'idiot !, me lança Vladym.

L'avertissement venait trop tard... D'une soudaine ruade, l'animal m'arracha la longe des mains et la ramena à lui. Je tombai au sol, étourdi par la violence de la traction, tandis que Vladym, furieux, se jetait vers la bête qui, prise de panique, ruait et courait en tous sens dans la salle, renversant tables et chaises comme fétus de paille.
Joignant nos efforts, Vladym et moi réussîmes au bout d'un petit moment à l'acculer dans un coin. Le piquosaure mugissait désespérément, piétinant le sol à en faire trembler les murs. Les paroles apaisantes que je lui glissais au milieu du vacarme ne semblaient pas avoir le moindre effet. Mais je dois reconnaître, à sa décharge, que si j'avais eu devant moi, tout comme lui, le baron Vladym dressé de toute sa taille, les yeux pleins de fureur, avec un fouet dans la main gauche et un hachoir dans la main droite, j'aurais eu quelque peine à me calmer et à me persuader qu'on ne me voulait aucun mal et que tout ceci était pour mon bien.

C'est à ce moment là que la situation a dérapé. Non non, je vous assure que jusque là, ça se passait plutôt bien...

Le ventail de la porte du restaurant s'ouvrit, laissant entrer un flot de lumière. Moundir d'Ilianov, le neveu du baron, s'arrêta devant l'entrée pour ôter la boue de ses bottes sur le paillasson. Il levait la main et lançait d'un air ravi : Salut, la compagnie ! Qu'est-ce qui se p...

TAGADLOMP TAGADLOMP TAGADLOMP SPROTCH TAGADLOMP...

Ahuri, je contemplai le corps inconscient et sanguinolent de Moundir qui venait d'être écrasé par un quintal de muscles et de cornes lancé à pleine vitesse. Le piquosaure, voyant la lumière, avait aussi vu sa seule chance de salut, et il s'était rué vers la porte avec une frénésie aveugle, écrasant au passage le pauvre Moundir qui venait innocemment visiter son oncle et boire un verre.

J'étais blême. Médusé tant par l'horreur du spectacle que par la conscience de ma responsabilité. C'estmafaut'c'estmafaut'c'estmafaut'

J'avais trahi la confiance du baron. J'avais mené son neveu à l'article de la mort. J'avais lâché un monstre paniqué en pleine ville ! Combien d'innocents allaient périr, piétinés pas ses sabots laineux ?

Le piquosaure avait écarté le double ventail de chêne comme s'il se fut agi d'une porte de saloon. Il rebondit soudain à l'intérieur du restaurant, atterrissant sur le dos, et chercha à se relever, désorienté. Dehors, Hussard Mickey O'Neil G.v.P. se relevait et hurlait rageusement : Qu's'qu'y s'pass'ci ?? Qu's' c'est s'bord'l !

Il entra à l'intérieur du Piquo-Steak. Avisant le piquosaure qui cherchait laborieusement à se remettre sur ses pattes, il lui adressa un direct entre les deux yeux. Le piquosaure s'écroula tout net. Il a assommé un piquosaure !! D'UN SEUL COUP DE POING !!! J'étais... j'étais dans un état tellement superlativement stupéfait que les superlatifs me manquent.

Je n'avais de toute façon pas le temps de me pencher sur ma superlativité, car Mickey se tournait aussitôt vers moi : C't à toi c'bestiau ? J'vais t'casser les dents ! J'vais t'fair' un' geul' qu'on v'rra pas la diff'rence 'vec la sienn' !

Je peux vous assurer qu'à ce moment précis, j'aurais donné cher pour avoir devant moi, en lieu et place de Hussard Mickey O'Neil G.v.P, un piquosaure en rût lancé à pleine vitesse. Mickey approche avec résolution, arme un uppercut...

Vladym, abattu et indifférent à la scène, contemple son neveu, la tête entre ses mains.

Ma mort est inéluctable. Rien ne peut me sauver.

Sauf une chose. Peut-être.

Tétanisé, je bafouille : Je.. JeJeJ'.. J'offre une tournée générale !

Mickey s'arrête. Sa sombre résolution laisse place à un sourire : B'nne 'dée ! Ha aah !

Quelques minutes plus tard, nous voilà attablés en train de commenter l'évènement. Mickey et Vladym moquent allègrement ma maladresse. Moundir est revenu à lui.

J'ignore ce que donnent les chasses à courre, mais un café crème peut réserver son lot de surprises...

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Vous venez de dire à Piquosaure : guili guili, tu veux de la salade ?
Piquosaure vous répond : Crac crac crac !